Je rencontre enfin le nouveau venu dont les collègues me bassinent les oreilles depuis hier. Quand mes yeux se posent sur lui, je le reconnais immédiatement. Josh. Mon estomac s’enfuit dans mes chaussettes et je repense à l’année dernière, quand nous étudions dans la même classe à la fac.
Solaire, bienveillant, gentil, attentionné et charmant. Ses qualités le rendaient très populaire, cependant il restait humble. Puis j’avais compris qu’il s’agissait d’une fausse modestie.
Avec lui, j’avais vraiment imaginé qu’un futur radieux était possible. Je m’étais même permis de fantasmer sur un mariage à la montagne et deux enfants, sauf que notre vie de couple était retombée comme un soufflet au bout de trois mois de relation.
Il ne m’aimait pas et ne me l’avait jamais dit. Il ne s’intéressait pas à moi non plus, nos seuls moments passés ensemble se résumant à ce que j’organisais. Et j’avais fini par ouvrir les yeux après notre première nuit intime, alors qu’il s’était enfui au petit matin. Malheureusement pour lui, il avait oublié ses clefs et fait semblant de rapporter des croissants pour les récupérer. Ce jour-là, il y a un mois, son manège m’avait frappé de plein fouet et je l’avais jeté dehors. Notre relation était décédée sur mon palier, en même temps que mes illusions. Et le découvrir en train de sortir avec une nouvelle fille dès le lendemain de notre rupture avait terminé d’achever toutes mes certitudes.
Josh me remarque et son visage s’illumine, me ramenant à l’instant présent. Tiens ? Pourquoi n’est-il pas surpris de me voir ? Il vient à ma rencontre, un sourire dentifrice plaqué aux lèvres. Mon cœur saigne, me prouvant encore une fois que je n’ai pas réussi à tourner la page. Il me fait la bise comme si nous étions restés amis, et mes yeux s’agrandissent comme deux ronds de flan. Alors qu’il s’écarte, sa voix résonne dans un monologue rapide.
Je suis trop content de te retrouver, ma Lily. Si tu savais comme tu m’as manqué, comme j’ai pensé à toi. Je suis tellement heureux de pouvoir travailler à tes côtés.
Je m’apprête à rétorquer, quand je remarque que ses lèvres n’ont pas bougé. D’ailleurs, sa voix est différente. Plus… caverneuse ?
— Salut Lily, me sourit-il avec chaleur, d’un timbre tout à fait normal, cette fois-ci.
Je le dévisage comme une idiote, les jambes coupées.
Qu’est-ce qu’elle a ? s’inquiète-t-il de sa voix plus grave. Elle est malade ? Lily ?
Je secoue frénétiquement la tête. Je ne rêve pas, ses lèvres ne bougent pas.
— Tu es ventriloque ? m’enquis-je de but en blanc, tandis qu’il ouvre de grands yeux.
— Non.
Hein ? D’où elle sort ça ? J’ai l’estomac qui gronde ? La honte ! Déjà que j’ai pris mon courage à deux mains pour venir lui parler…
Ne me dites pas que…
— Pense à un chiffre.
Il se fige un instant avant de s’esclaffer.
Elle est toujours aussi franche et spontanée. Ça fait plaisir à voir. Même si je ne saisis pas ce qu’elle a derrière la tête… Pourquoi elle souhaite un chiffre ? 14.
— 14 ? répété-je.
Il sursaute, interdit, et le sang déserte mon visage.
— Tu es magicienne ?
— Non.
Enfin, pas aux dernières nouvelles. Qu’est-ce qui m’arrive ? Oh, bordel, je ne peux pas devenir télépathe ! Je n’ai pas besoin de ça !
— Est-ce que… tu veux bien qu’on parle une minute ? bégayé-je.
— Oui, accepte-t-il en me suivant dans le couloir désert.
Toujours si belle… Et ses épaules, j’ai tellement envie de les embrasser. Mordiller sa nuque, et…
Je fais volte-face, les joues en feu. Mais… Je croyais qu’il s’en fichait, de moi !
Elle est en colère ? Douleur… Comme ce matin où elle m’a jeté dehors sans que je ne comprenne pourquoi.
Les yeux plantés dans les siens, je suis ébahie par ce que j’entends et constate qu’il fronce les sourcils, peiné.
J’étais allé chercher des croissants. Manon m’avait affirmé que les femmes adoraient ce genre d’attentions. Visiblement, Lily l’avait mal pris. Souffrance…
Le visage de cette Manon flotte dans son esprit – je reconnais la fille avec qui je l’ai vu sortir – tandis qu’il se remémore comment elle avait dû le ramasser à la petite cuillère suite à notre séparation.
Non… Ce n’est pas possible. Mais…
— J’ai fait quelque chose de mal ? gémit-il, attristé.
Je secoue la tête. J’ai besoin d’air ! Je pousse la porte du balcon et respire à plein poumon. Il me suit sans un mot.
— Josh, excuse ma franchise, mais il me faut des réponses, avant de pouvoir travailler ensemble sereinement.
— Bien sûr.
Tout ce que tu veux, ma Lily.
— Est-ce que tu savais… que je bossais ici ? ânonné-je.
Qu’est-ce… Qu’est-ce que je dois répondre à ça ? La vérité ? Que j’ai eu une bonne opportunité ? Et que je l’ai saisie parce qu’elle faisait partie de l’équipe ? Je ne sais pas quoi lui dire. Qu’est-ce que je dois faire ? Bordel ! À force de me paralyser aux moments cruciaux, cette timidité aura ma peau !
J’écarquille les yeux. Que… ? Alors il ne m’a pas pris pour une idiote ? Ce n’est qu’un vaste malentendu ?
— Josh… soufflé-je, ébahie, avant que ma voix ne se brise. Josh, je t’aime toujours.
Ma vue se brouille et je me jette dans ses bras pour m’y cacher. Son cœur bat la chamade contre moi et je fonds en larme au son de ses réflexions.
Moi aussi, je t’aime ma Lily. Je ne comprends rien à ce qui se passe, mais je m’en fous. Je t’adore tant. Je t’en prie, ne me rejette plus.
— Moi… Moi non plus, je n’ai pas pu t’oublier, Lily.
Il me sert à son tour, les pensées en ébullition.
— Tu m’aimes vraiment ? murmuré-je.
— Oui ! s’écrit-il avec nervosité, avant de rougir jusqu’à la racine des cheveux.
Il détourne les yeux, gêné.
Est-ce que ça veut dire qu’on pourra se marier à la montagne et avoir deux enfants ?
Je me laisse de nouveau aller contre lui, heureuse. Je vis un rêve éveillé. Je soupire d’aise et profite de sa merveilleuse odeur qui m’avait tant manquée.
Merci pour ce don qui m’a permis de venir à bout de ce terrible malentendu. J’ai bien compris la leçon. Je dois communiquer avec lui, plutôt que de m’emporter. Merci pour tout. Maintenant, c’est bon, je n’en ai plus besoin. Oust ! Oust !
Je lève les yeux vers lui, désireuse de retrouver sa bouche.
Elle veut que je l’embrasse ? Quand elle dévore mes lèvres avec ces yeux-là, c’est ce qu’elle souhaite, non ? Est-ce que je devrais le lui demander ? Manon me parle tellement du consentement…
Impatiente, j’agrippe sa chemise et le tire vers moi, et l’embrasse avec ferveur. Ses pensées cessent à ce moment précis et j’ai la certitude d’avoir bien agi.
Depuis son nuage, Cupidon range son arc. Il a réussi son coup.
« Eh bien, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour ces deux empotés, franchement… »
J’espère que tu as passé un bon moment. Si oui, continue avec les deux autres